Une décision attendue par les spécialistes du droit des brevets vient d’être rendue le 25 février 2025 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) avec des conséquences importantes à plus ou moins long terme (décision C 339/22).
L’enjeu portait sur la compétence du juge du domicile du défendeur pour se prononcer sur des faits de contrefaçon commis à l’étranger et ce alors que le défendeur contestait la validité des différents parties nationales d’un brevet européen par voie d’exception. Or, selon l’article 24-4 du règlement Bruxelles I bis, le juge du titre est exclusivement compétent en matière de validité, que la question soit posée par voie d’action ou d’exception. Cela impose de distinguer selon que le titre provient ou non d’un Etat membre de l’Union.
Prenons le cas d’une action en contrefaçon en France, contre un défendeur français, fondée sur la partie espagnole d’un brevet européen. Le juge français (juge du domicile du défendeur) conserve sa compétence sur la contrefaçon alléguée en Espagne. Le juge français a la même latitude qu’en cas d’opposition à un brevet européen : il peut sursoir à statuer sur la contrefaçon de la partie espagnole du brevet européen dans l’attente de la décision du juge espagnol sur la validité de celle-ci, ou il peut poursuivre la procédure s’il estime que les chances d’annulation par le juge espagnol sont faibles.
Prenons cette fois le cas d’une action en contrefaçon en France, contre un défendeur français, fondée sur la partie britannique ou turque d’un brevet européen. L’analyse est différente parce que l’article 24-4 du règlement Bruxelles I bis n’est pas applicable. La CJUE refuse tout « effet reflexe » à cet article. Aussi, le juge français (juge du domicile du défendeur) peut se prononcer sur la validité de la partie britannique ou turque du brevet européen, lorsque cette question est posée par voie d’exception. La décision sur la validité aura alors un effet relatif entre les parties (et ne sera donc pas opposable à des tiers).
A court terme, lorsque sa compétence internationale proviendra de la localisation du domicile du défendeur au sein d’un Etat membre contractant, la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB) aura compétence pour se prononcer sur une contrefaçon alléguée en Espagne (Etat membre de l’UE, mais non membre de la JUB). La JUB ne pourra pas se prononcer sur la validité de la partie espagnole du brevet européen, mais ne sera pas nécessairement tenue de surseoir dans l’attente d’une décision du juge espagnol sur la validité de celle-ci. En revanche, la JUB pourra se prononcer sur la validité d’une partie britannique ou turque d’un brevet européen, lorsque la question lui sera posée par voie d’exception, la décision ayant là encore un effet relatif entre les parties.
Plus le contentieux est éloigné de l’UE, plus le juge du domicile du défendeur (juge national ou JUB) aura une compétente étendue à l’égard des parties nationales d’un brevet européen. Ce paradoxe renforce la critique à l’égard de l’article 24-4 du règlement Bruxelles I bis qui étend l’exclusivité du juge du titre, que la question de validité soit posée « par voie d’action ou d’exception ». Le législateur européen pourrait profiter de la réforme annoncée du Règlement Bruxelles I bis pour limiter la compétence exclusive du juge du titre aux seules questions posées par voie d’action. Ce que la JUB peut désormais décider à l’égard d’une partie britannique d’un brevet européen, elle pourrait alors le faire à l’égard d’une partie espagnole, ce qui assurerait une consolidation souhaitable du contentieux du droit des brevets.