Recours en manquement : nouveau rebondissement dans la saga qui oppose l’UFC Que Choisir à la société Valve

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Alexandre Vuchot

Partner
France

Associé au sein du groupe Commercial, je suis plus particulièrement en charge des questions relatives au droit des contrats commerciaux de la distribution et de la consommation.

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Pauline Pilain

Senior Associate
France

Collaboratrice au sein des départements commercial IT et contentieux du bureau de Paris, j'assiste et représente les clients français et internationaux sur les dossiers de conseil, pré-contentieux et contentieux.

L’UFC Que Choisir avait assigné, fin 2015, la société Valve, qui propose via la plate-forme « STEAM » un service de distribution en ligne de contenus numériques, et notamment des jeux vidéo développés par Valve et des éditeurs tiers, des logiciels ou encore du matériel, devant le Tribunal Judiciaire de Paris, aux fins de faire constater le caractère abusif et/ou illicite des clauses des conditions générales d'utilisation de la plateforme Steam et notamment la clause interdisant la revente et le transfert des souscriptions

Le Tribunal judiciaire avait jugé, en 2019, sur le fondement du principe de l’épuisement des droits1, que même si l'achat initial avait été réalisé par voie de téléchargement, Valve ne pouvait plus s'opposer à la revente de la copie (ou exemplaire) et ce, malgré l'existence de dispositions contractuelles interdisant une cession ultérieure2
 
En 2022, la Cour d'appel de Paris avait infirmé partiellement la décision rendue en première instance en jugeant qu’un jeu vidéo n’est pas un programme informatique à part entière mais une œuvre complexe en ce qu’il comprend des composantes logicielles ainsi que de nombreux autres éléments tels des graphismes, de la musique, des éléments sonores, un scénario et des personnages et qu’à la différence d’un programme d’ordinateur destiné à être utilisé jusqu’à son obsolescence, le jeu vidéo se retrouve rapidement sur le marché une fois la partie terminée et peut être encore utilisé par de nouveaux joueurs plusieurs années après sa création. 

En l'absence d'objet tangible, la Cour en avait déduit l’impossibilité de recourir au principe de l’épuisement des droits pour autoriser la revente d’une copie numérique du jeu vidéo téléchargé.
 
La Cour avait par ailleurs retenu qu'il n’était pas nécessaire de transmettre à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) la question préjudicielle de l'UFC Que Choisir, ci-après reproduite, en l'absence de doute raisonnable quant à l'application correcte du droit communautaire :

« L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2009/24 et l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2001/29 doivent-ils être interprétés en ce sens que le droit de distribution de la copie numérique d’un jeu vidéo est épuisé lorsque l’acquéreur a réalisé cette copie, avec l’autorisation du titulaire du droit et moyennant une rémunération correspondant à la valeur économique de cette copie, en téléchargeant une copie du programme informatique permettant d’utiliser le jeu vidéo sur un support informatique au moyen d’Internet ? ».

L’UFC Que Choisir avait alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Cette dernière avait rejeté le pourvoi et confirmé qu’en l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation du droit de l’Union européenne, il n’y avait pas lieu de saisir la CJUE de la question préjudicielle.
 
Le 26 février dernier, l'UFC Que Choisir a indiqué sur son site internet avoir saisi la Commission européenne d'un recours en manquement pour avoir refusé de transmettre la question préjudicielle à la CJUE.

Si la Commission européenne considère que la France a manqué à une de ses obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émettra une demande formelle de se conformer au droit européen, après avoir donné à l’Etat français la possibilité de présenter des observations. Si la France ne se conforme pas à cet avis motivé dans le délai déterminé par la Commission, cette dernière pourra saisir la CJUE.

Ce recours engendrera certainement de nouvelles discussions sur la nécessité ou non d’élaborer une stratégie européenne en matière de propriété intellectuelle pour les jeux vidéo. Comme l’indiquait déjà en 2011 Monsieur Martin Lalande dans son rapport sur le régime juridique des jeux vidéo en droit d’auteur : « devant la complexité de l'œuvre jeu vidéo et l’urgence d’agir pour soutenir le secteur économique et culturel du jeu vidéo, quelle est la solution la plus efficace pour ouvrir une perspective de sécurisation juridique : un régime juridique ad hoc ou améliorer le cadre existant ? » .

Affaire à suivre.

___________________________

1 - Tel que prévu aux termes des directives 2001/29/CE du 22 mai 2002 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information et 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur
2 - TGI Paris, 17 sept. 2019, n° 16/01008

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