Arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 6 mars 2025 : rappel de l’applicabilité des règles de protection des consommateurs aux ventes sur les réseaux sociaux.
La montée en puissance du commerce électronique a engendré de nouveaux modes de consommation, notamment via les réseaux sociaux, conduisant le législateur et la jurisprudence à adapter les règles classiques du droit de la consommation à ces canaux émergents.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Montpellier le 6 mars 2025 illustre parfaitement cette évolution en confirmant l’application des obligations d’information précontractuelle, notamment sur le droit de rétractation, aux ventes réalisées par l’intermédiaire des réseaux sociaux.
Une vente via Instagram de produits défectueux
Les époux [Y] avaient commandé, via Instagram, un ensemble de mobilier auprès de la SARL Luna Home pour un montant total de 3000 €. À la livraison, ils ont constaté plusieurs défauts affectant tant l’esthétique que la solidité des biens. Après des démarches infructueuses auprès du vendeur, ils ont saisi le tribunal judiciaire de Montpellier pour demander la résolution du contrat et la restitution du prix.
Par un jugement du 6 février 2023, le premier juge avait considéré les défauts comme mineurs, refusant la résolution du contrat mais condamnant néanmoins le vendeur à 400 € de dommages et intérêts.
Les époux ont interjeté appel, invoquant, outre les défauts majeurs de conformité, un manquement du vendeur à son obligation d’information précontractuelle sur le droit de rétractation.
Le juge d’appel a cette fois résolu la vente, condamné le vendeur au remboursement des produits, à leur récupération, et l’a condamné à verser aux époux la somme de 1000€ pour manquement aux obligations précontractuelle d’information.
Sur la reconnaissance de la vente à distance via les réseaux sociaux
L’article L. 221-1, 2° du Code de la consommation définit le contrat à distance comme incluant expressément les ventes conclues « dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de services à distance ».
En relevant que « il n’a jamais été contesté que la commande a été passée à distance par les époux [Y] sur le site Instagram de la société et qu’existait alors un droit de rétractation », la Cour d’appel de Montpellier reconnaît implicitement que l’activité commerciale exercée via un compte Instagram s’inscrit dans cette définition, même si le réseau social n’est pas, par nature, une plateforme exclusivement dédiée à la vente.
Sur l’obligation d’information précontractuelle et du droit de rétractation dans le cadre des contrats conclus à distance
Dans les contrats à distance, l’article L. 221-5 du Code de la consommation impose au vendeur professionnel de fournir au consommateur, préalablement à la conclusion du contrat, une information claire sur l’existence du droit de rétractation, ses modalités, ainsi que le formulaire type permettant son exercice.
La Cour constate que la société Luna Home n’a jamais porté à la connaissance des époux [Y] l’existence de ce droit. Ce manquement est qualifié de grave, car il prive les consommateurs de la possibilité d’exercer leur droit de rétractation dans le délai légal de quatorze jours, prévu à l’article L. 221-18 du même code.
En conséquence, sanctionnant cette carence, la Cour accorde aux acheteurs la somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts, reconnaissant ainsi le préjudice résultant de la perte d’une possibilité essentielle offerte au consommateur dans le cadre des ventes à distance.
Ce qu’il faut retenir de cet arrêt
Bien que cet arrêt émane de la Cour d’appel et non de la Cour de cassation, il envoie un message clair aux professionnels utilisant les réseaux sociaux comme canal de vente : ils ne peuvent se soustraire aux obligations prévues par le Code de la consommation sous prétexte que les réseaux sociaux ne sont pas des plateformes exclusivement commerciales.
Dès lors qu’une vente est conclue à distance, sans présence physique simultanée, les règles applicables à la vente à distance trouvent pleinement à s’appliquer, notamment l’obligation d’informer le consommateur sur son droit de rétractation. Ce manquement peut engager la responsabilité du vendeur et entraîner non seulement des sanctions civiles, mais également des demandes en dommages et intérêts, comme l’illustre la condamnation prononcée dans cette affaire.
Pour aller plus loin : la responsabilité des réseaux sociaux en matière de vente en ligne
La question de la responsabilité de l'information sur le droit de rétractation se pose en ce qui concerne les vendeurs et les plateformes de réseaux sociaux. Selon la jurisprudence et la législation, c’est au vendeur que revient l’obligation d’informer le consommateur de son droit de rétractation. Les plateformes, en tant qu’hôtes, ne sont pas responsables de cette obligation, sauf si elles sont parties prenantes dans la transaction (par exemple, via une vente intégrée ou des transactions facilitées par la plateforme).
Ainsi, même si un vendeur utilise Instagram comme canal pour promouvoir et vendre ses produits, c’est lui qui doit s’assurer que l’information sur le droit de rétractation est bien communiquée au consommateur avant la conclusion de la vente. Les plateformes peuvent cependant offrir des fonctionnalités permettant de faciliter l'information, comme des liens vers des formulaires ou des pages spécifiques.
Le règlement eCommerce (Règlement (UE) n° 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à l’amélioration de l’équilibre entre les plateformes en ligne et les entreprises utilisatrices de ces plateformes) vise à améliorer la transparence des pratiques commerciales des plateformes en ligne, mais il ne va pas jusqu’à imposer des obligations spécifiques sur le droit de rétractation. Il met toutefois l'accent sur la responsabilité des plateformes en matière de conditions commerciales, notamment en ce qui concerne la transparence des prix, des conditions de vente, et la gestion des contrats avec les consommateurs.
Les règles en matière de publicité en ligne sur les réseaux sociaux sont également importantes. Par exemple, l’article L. 121-1 du Code de la consommation interdit les pratiques commerciales trompeuses, y compris sur les réseaux sociaux. Si un vendeur ne respecte pas l’obligation d’information, cela peut être considéré comme une pratique commerciale trompeuse, ce qui expose le vendeur à des sanctions.
Cas particulier du vendeur effectuant du drop shipping via les réseaux sociaux
Le dropshipping est un modèle commercial où le vendeur propose des produits sans les stocker lui-même, en les achetant directement auprès d’un fournisseur qui les expédie au client. Ce modèle, de plus en plus courant sur les réseaux sociaux, présente des défis particuliers en matière de conformité au droit de la consommation, notamment concernant l’obligation d’informer les consommateurs sur leur droit de rétractation.
Dans ce cadre, la loi Influenceur (loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 relative à la régulation des pratiques commerciales sur les réseaux sociaux) introduit de nouvelles règles visant à mieux encadrer les pratiques commerciales des influenceurs et des professionnels utilisant ces plateformes, en particulier en matière de responsabilité des vendeurs et des plateformes. Cette loi impose aux influenceurs, ainsi qu’aux entreprises utilisant les réseaux sociaux pour vendre, de respecter les obligations d’information précontractuelle, de transparence sur les conditions de vente, et d’indiquer clairement les conditions de rétractation et les modalités de retour des produits.
Dans le cas spécifique du dropshipping, les influenceurs ou vendeurs qui promeuvent des produits via des réseaux sociaux sont désormais tenus de s'assurer que les informations concernant le droit de rétractation sont bien communiquées avant la conclusion du contrat, et que les consommateurs sont pleinement informés des modalités de retour et de remboursement.
Si cette obligation n’est pas respectée, la responsabilité du vendeur peut être engagée, et, selon certaines circonstances, celle des plateformes de réseaux sociaux peut également être mise en cause, notamment si elles facilitent ou intègrent la vente directement sur leur interface.